Elle teste un
vaccin contre le SIDA
Nom : Robin. Prénom : Gwénaël. 37 ans. Trois enfants, de 6, 7
et 10 ans. Profession : animatrice de maison de retraite, actuellement
au chômage**. Signe particulier : volontaire pour tester un vaccin
préventif contre le sida. Et du même coup***, pour témoigner**** de
l'expérience auprès du public le plus large. Pas pour se faire
mousser*****. Elle ne veut surtout pas être « remerciée », «
starifiée ******». Mais imitée, « ça oui ». « Pas de problème
pour une photo, j'accepte. Je suis tellement banale******* que ça
prouvera que tout le monde peut faire ce que je fais... »,
a-t-elle prévenu au téléphone, au moment de convenir d'un rendez-vous.
*un
animateur / une animatrice organise des activités de loisirs.
**au chômage: sans emploi
***et en même temps
****raconter l'expérience
*****se faire mousser: avoir l'air important
******starifiée: être considérée comme une star
*******banal / banale: ordinaire
Dans sa
maison d'un lotissement* de Plouguin, près de Brest, cette fille de
profs aux cheveux en bataille**, et à l'énergie pas si banale, se
découvre un peu plus. Sans doute qu'une fibre militante*** vibre en
elle depuis toujours, concède-t-elle. Étudiante, elle donnait de son
temps aux Restos du Coeur, ensuite ça a été aux Paralysés de France.
« Quoi, il faudrait attendre d'avoir des grands-parents en maison
de retraite pour y travailler ? Attendre d'avoir eu un accident de
voiture pour offrir son sang, ou un enfant myopathe pour donner au
Téléthon**** ? »
*un
lotissement:
un groupement de maisons neuves
**les cheveux en bataille: mal coiffée
***une fibre militante: un côté socialiste
****le téléthon: une entreprise de charité qui récupère de
l'argent dans une émission de télé
C'est
une émission de France Inter qui l'a fait entrer dans le réseau
de volontaires de l'Association nationale de lutte contre le sida, il
y a deux ans. « Au détour d'une interview, une dame toute simple,
viticultrice* dans le Sud-Ouest, a dit en faire partie. Avec une
telle** humilité que** ça m'est resté dans l'oreille. Quelques jours
plus tard, en entendant un appel de l'ANRS, je me suis dit 'J'y vais
puisque je corresponds aux critères'. »
*un
viticulteur / une viticultrice:
qui cultive des vignes pour faire du vin
**telle... que: si grande... que
Les
critères ? « Avoir plus de 18 ans et moins de 50, être en bonne santé
et disponible. J'étais en congé parental... » Elle en parle aux
enfants, à son compagnon de l'époque, qui s'incline devant sa
décision*, et elle remplit son dossier d'inscription. A la ligne
motivation, cette simple phrase : « Ça me semble naturel. » Convoquée
à deux reprises au CHU de Nantes, elle y subit des examens** médicaux
et psychologiques complets. « Prises de sang, analyses, questions sur
mes antécédents familiaux et d'autres, extrêmement personnelles, sur
ma sexualité, mon comportement à l'égard de la drogue, des homos... »
Des questions, elle en a posé à son tour. Battante***, mais « pas
totalement neuneu**** non plus ! On ne s'engage pas à recevoir un
vaccin sans se renseigner sur les risques et les contraintes que ça
implique : pas de grossesse, des rapports protégés, beaucoup de
déplacements, d'analyses, de prélèvements... de fatigue aussi. »
*s'incliner devant une décision:
accepter cette décision
**subir des examens: passer des examens de santé
***: battante: courageuse
****neuneu: c'est familier pour dire 'un peu fou', 'un peu
folle'
Gwénaël
Robin a su seulement cette année qu'elle était retenue*, avec
trente-trois autres femmes, pour des essais de vaccin préventif
étalés** sur quatorze mois. Le 'Vac 14', nom du protocole dans lequel
elle est engagée, comporte trois injections de copies de particules du
virus synthétisées chimiquement, et donc inoffensives. « Des
leurres***, en quelque sorte ». But : évaluer la tolérance
de l'organisme et la capacité des muqueuses à se défendre contre le
VIH. Dans le groupe dans lequel elle est tombée, les injections, ou
plutôt pulvérisations, sont vaginales. « Le gros lot**** pour une
pudique*****. » Qui a néanmoins accepté, « sachant****** qu'à
tout moment et sans avoir à le justifier, je pouvais me désister ».
*retenue:
ici, sélectionnée
**étalés: programmés
***un leurre : un faux
****le gros lot: le maximum
*****pudique: discret / discrète sur la sexualité
******sachant: participe présent de 'savoir' (knowing)
«
Vous
n'avez personnellement aucun bénéfice à attendre, le seul intérêt
de cette étude est scientifique », précise le document de quatre
pages qu'elle a signé à sa première visite, à l'hôpital Tenon, à
Paris. Depuis, elle s'y est rendue deux fois par mois pendant les
trois premiers mois de l'étude, puis une fois par mois. Maintenant,
c'est tous les deux mois. Mais il y a aussi ce 'carnet de
surveillance' sur lequel elle doit noter matin et soir, à la maison,
sa température, « le moindre* Doliprane avalé pour un mal de tête,
le moindre collyre ». Une carte en anglais et en français ne
quitte pas son sac. « Elle comporte des numéros de téléphone de
médecins joignables 24 heures sur 24 et précise que ma
'pseudo-séropositivité' est liée à ma participation à un essai
vaccinal. » Des effets secondaires ? « On m'avait parlé de
fièvre, de boutons possibles. Une chance, je n'en ai pas. »
*le moindre:
le pus petit
Pour la
bénévole, chaque voyage à Paris signifie « lever 3 h, départ
de Brest 4 h 53. Dans le TGV, je dors. A Paris-Montparnasse, je
chope* le journal 20 minutes, je prends le métro, j'arrive à
Tenon, je demande un flacon* pour la première analyse d'urine... et
j'attends. » Parce que les infirmiers, la gyné*** aussi, sont
bénévoles. « J'attends avec un gros bouquin*** (rires).
C'est à ça qu'on reconnaît un volontaire... » Entre deux
rendez-vous, mêlée à des malades, elle apprend, pourtant, à ne
pas dire qu'elle ne l'est pas, « pour ne pas les gêner. Ce sont eux
qu'il faut admirer, eux qui ont à se battre, à lutter contre les
moments de désespoir. Comme les chercheurs ».
*choper
(c'est de l'argot):
attraper
**un flacon : une petite bouteille
**la gyné: la gynécologue
***un bouquin: un livre
La
dernière visite de Gwénaël Robin aura lieu demain. Puis en janvier,
viendra un premier récapitulatif de l'étude à laquelle elle a
participé... Le vaccin, elle ne le voit pas trouvé* avant 2010,
l'espère tellement, pourtant. Surtout pour les pays du tiers-monde,
« qui n'ont pas les moyens de se payer de trithérapies. Ça aussi, ça
fait partie de mes motivations. Et puis il y a une part d'égoïsme dans
tout ça, avoue encore la volontaire, d'un ton bravache**. Ça va
faire un grand vide de ne plus voir aussi régulièrement les autres,
maintenant. Certaines sont devenues des copines***. Quantifier les
apports de cette expérience, sur une échelle de 1 à 10 ? Je ne
pourrais pas, ça tend vers l'infini... »
*elle ne le
voit pas trouvé:
elle ne pense pas qu'il sera trouvé
**bravache: plus brave que en réalité, brave, courageux en
apparence mais en réalité très affecté.
*** les femmes qu'elle rencontre dans ce protocole, celle qui
portent un faux virus comme elles et aussi celles qui ont le SIDA |