« Aujourd'hui, je fais des mots croisés...
en allemand » |
Ferdinand Gilson, 106 ans, incorporé en 1917
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IL EST L'UN des 15 derniers poilus encore en vie
aujourd'hui. Agé de 106 ans, Ferdinand Gilson
est donc une vedette dans son petit village des
Choux, dans le Loiret, où on lui rendra hommage
aujourd'hui. Elus, enfants des écoles fêteront
le doyen de la commune et leur héros qui a connu
trois siècles et a traversé l'histoire de
France.
« Quand je suis parti à la guerre, ma mère m'a
dit : Il faut faire ton devoir, tout ton
devoir, mais pas
plus que ton devoir
». Une formation de mécanicien en poche, il est
incorporé en avril 1917. Il est ensuite appelé
au front. Il n'a que 19 ans et les pieds
plats. Artilleur, il se sert du fameux canon de
75. C'est en mai 1918 qu'il reçoit le baptême
du feu en Belgique. «J'avais une très bonne vue
et une ouïe extraordinaire. Au moindre coup,
j'entendais pan ! Pan ! et je disais
c'est pour ma gueule. Je me couchais le
premier... D'ailleurs jamais un officier ne m'a
reproché de me coucher. Eux, ils étaient debout
! » .
« J'ai été
gazé, je vomissais tripes et boyaux »
Celui que l'on surnomme
le morpion à cause de ses 60 kg se
retrouve comme brancardier sur le mont Kummel
puis sur le front de l'Aisne et de la Somme. «
Nous ramassions les armes et les morts. J'étais
payé 12 francs par fusil. Avec ça, l'adjudant
nous achetait des douceurs. » En avril 1918, il
est gazé. « Lors d'un bombardement, alors que
je cherchais à me protéger, je me suis réfugié
dans un trou. J'ai été gazé, je vomissais
tripes et boyaux, mais j'ai réussi à sauver ma
peau. » Il y perd cependant un poumon. « On
tenait à coup de pinard. Certains buvaient
jusqu'à 9 litres par jour... » La Grande Guerre
ne va pas l'épargner. Ferdinand sera gazé une
seconde fois. Admis à l'école militaire de
Fontainebleau pour y devenir officier, c'est là
qu'il apprend l'armistice. « Mais j'ai attrapé
une mauvaise grippe qui m'a fait perdre 14 kg.
» Trop diminué, sa carrière militaire s'arrête
là. En 1939, âgé alors de 42 ans, il est jugé
trop vieux pour endosser l'uniforme. La guerre
encore dans sa vie. « Dès le début, j'ai senti
monter le nazisme. Vous savez, j'ai lu Mein
Kampf et je n'ai jamais pu admettre le
martyre des Juifs. » Il est finalement arrêté
par la Gestapo. Relâché, il s'enrôle dans la
Résistance. Avec sa femme, il parvient à cacher
des aviateurs... Un héros ordinaire. A la
Libération - ironie du sort - un Allemand lui
tire dessus. « Il semblait loucher. Je pense
que c'est grâce à cela que je suis encore en
vie... » Après la guerre, il deviendra
conseiller municipal puis adjoint au maire d'une
petite commune de l'Eure et attendra jusqu'en
1996 pour recevoir la Légion d'honneur. «
Celle-là, je ne l'ai pas volée ! » lance-t-il en
la serrant très fort. Commentaire : « La guerre
est le fruit empoisonné de la sottise et de la
méchanceté réunies. » L'esprit vif, doté d'une
mémoire étonnante, Ferdinand Gilson coule
aujourd'hui des jours paisibles auprès de
Suzanne sa « jeune » femme âgée de 85 ans.
Toujours alerte. Et surprenant. « Je fais des
mots croisés en allemand pour parfaire la
langue... » Européen convaincu, il se dit
favorable à l'entrée de la Turquie dans
l'Europe. « Il ne doit plus y avoir de
frontières. Je suis d'accord avec Jacques
Chirac qui s'est opposé à la guerre en Irak et
je me réjouis lorsque la France et l'Allemagne
ne font qu'un lors d'un sommet européen. »