L'Express du 03/01/2005
Et si on laissait les retraités travailler?
par Anne Vidalie
Autoriser sans restriction le cumul retraite et emploi
est l'une des mesures phares du rapport Camdessus. Si
certains y voient un moyen habile d'augmenter les
cotisations retraite et de pallier ainsi le déficit de
notre régime de pension, d'autres s'insurgent, arguant que
c'est accroître les rangs des demandeurs d'emploi
«Il y a un gâchis incroyable à empêcher de travailler les
retraités qui le souhaitent!» Pierre Leboulleux, 73 ans,
ancien directeur de la société de conseil et de formation
Cegos, a un avis bien arrêté sur la question: «Le travail
engendre le travail. Et ceux qui travaillent sont en
meilleure santé que les autres!» Officiellement retiré des
affaires depuis 1996, ce septuagénaire bourré d'énergie et
d'enthousiasme a poursuivi une activité rémunérée jusqu'à
la fin de 2000. «Des missions ponctuelles en tant que
consultant indépendant, qui représentaient un complément
de revenu non négligeable», avoue-t-il. Il est toujours
consultant, mais bénévole à présent. Par choix.
Cumuler retraite et emploi «sans restriction»: voilà l'une
des propositions phares du rapport remis le 19 octobre à
Nicolas Sarkozy, alors locataire de Bercy, par Michel
Camdessus, ancien directeur général du Fonds monétaire
international. Déjà, la réforme des retraites signée
François Fillon va sensiblement faciliter ce cumul. Depuis
le 1er janvier 2005, les retraités français que démange
l'envie de travailler y sont autorisés dès 55 ans, à deux
conditions: ils doivent attendre six mois minimum s'ils
reprennent un job chez leur ancien employeur (ils peuvent
commencer tout de suite chez un autre); l'addition de leur
pension et du revenu qu'ils tirent de leur nouveau boulot,
salarié ou non, ne doit pas dépasser la moyenne mensuelle
des salaires perçus au cours de leurs trois derniers mois
d'activité. Sinon, plus de retraite. Le dispositif est
alléchant pour les cadres supérieurs, dont les retraites
sont bien moins plantureuses que leurs dernières
rémunérations. Beaucoup moins pour les smicards, qui
touchent en moyenne plus de 80% de leur dernier salaire.
«La demande émane plutôt de cadres de haut niveau qui ont
le blues du travail et souhaitent s'assurer un niveau de
vie élevé à la retraite», précise l'avocat Clément
Raingeard, spécialiste du droit social.
Parmi les 12 millions de retraités, les «cumulards» ne
sont pas légion aujourd'hui: 2% des plus de 60 ans, soit
environ 185 000 personnes. Et les Français, dans leur
grande majorité, ne manifestent pas une folle envie de
rempiler. 72% d'entre eux affirment n'avoir aucune envie
de se lancer dans une seconde vie professionnelle. Tant
mieux, tranchent les détracteurs du cumul emploi-retraite:
selon eux, il serait criminel de grossir davantage les
rangs des demandeurs d'emploi. Priorité aux jeunes qui
peinent à se faire une petite place sur le marché du
travail. Tant pis, disent les partisans du boulot des
seniors, les Français vont devoir s'y faire. La réforme
des retraites adoptée en 2003 n'est qu'un replâtrage qui
ne tiendra pas longtemps. Les cotisations retraite
supplémentaires que verseront les futurs «cumulards»
seront les bienvenues pour renflouer notre régime de
pension. Les deux camps n'ont pas fini de s'affronter.
Titre : l'une des mesures phares : qui sert
de modèle
Pallier : trouver une solution peu
satisfaisante, provisoire.
Arguer : prétexter
&1 : avoir un avis bien arrêté sur quelque chose :
être sûr de soi.
&2 : plantureux (se) : ici important(es)
: émaner de : venir, provenir de .
&3 : rempiler : s’engager à nouveau.
: un replâtrage : une solution précaire
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